TOUT EST DIT

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vendredi 6 mai 2011

Chef d’Etat candidat

Ceux qui ont lu ou vont lire les dix pages d’interview de Nicolas Sarkozy à L’Express n’auront plus aucun doute : le président de la République a décidé de se représenter et, même s’il se garde de l’annoncer, il prépare activement sa campagne. Il ne renonce pas à ses références de 2007, le travail, l’autorité, la sécurité, le refus de l’assistanat, mais il n’est plus le même homme car c’est bien un chef d’Etat et non un candidat ordinaire qui se représentera en 2012. Souvent brocardé et critiqué pour sa manière d’exercer le pouvoir, Nicolas Sarkozy apparaît, peut-être pour la première fois, comme un président de la République pénétré de son rôle et de ses responsabilités de chef d’Etat et de commandant en chef face aux crises et aux guerres dans un monde multipolaire. Interrogé sur son image, il répond sur son « devoir d’Etat » et sur « la servitude » du pouvoir. Quand on évoque telle ou telle mesure qui passe mal dans l’opinion, il rétorque que « le rôle du chef de l’Etat n’est pas de se demander si une initiative va plaire ou déplaire » et si on lui demande s’il est un président normal, il répond que « c’est une fonction qui ne l’est pas ». Posture gaullienne ? Certes, mais c’est plus qu’une posture de candidat, c’est une réflexion profonde sur l’exercice du pouvoir présidentiel dans la Ve République. Ce n’est pas par hasard si à propos de la prime aux salariés il évoque le général de Gaulle de 1967 forçant la main au nom de la justice à un patronat récalcitrant. Le Nicolas Sarkozy de 2012 veut s’en prendre à « une élite arrogante, moralisatrice et donneuse de leçons ». On se demande à qui il pense !

Le poids des photos

Nous vivons plus que jamais dans la société de l'image et des images : chacun de nous ou presque dispose avec son téléphone portable d'un appareil photo et en use sans modération. Paris-Match avait inventé le slogan publicitaire du poids des mots et du choc des photos, aujourd'hui, on devrait réviser le concept en parlant du poids des photos. Deux exemples de l'actualité.

– Dominique Strauss-Kahn, en visite à Paris pour préparer sa candidature, est photographié en train de monter avec Anne Sinclair dans une Porsche Panamera. Un bolide de 150.000 € qui appartient à l'un de ses communicants. Aussitôt, cette photo devient un symbole et alimente les critiques de ses adversaires qui en font l'archétype de la gauche « caviar et vroum vroum », ce qui est pour eux une manière de répondre au sarkozysme « bling-bling » de 2007. Il faudra s'habituer à ce genre de boules puantes pendant la campagne très méchante qui s'annonce pour 2012.

– Beaucoup plus grave est l'affaire des photos de l'exécution de Ben Laden. Après trois jours de réflexion, le président Obama a décidé de ne pas les publier pour ne pas en faire des trophées et exciter les passions au Pakistan et ailleurs. La préoccupation est noble, mais je pense qu'il a eu tort et qu'il sera contraint de faire sortir ces photos, ne serait-ce que pour contrer les phantasmes et les récits de type conspirationniste qui fleurissent sur Internet. Certes, ces négationnistes diront que les photos sont truquées, mais pour beaucoup de gens qui doutent de bonne foi, il est nécessaire de les montrer comme le furent en d'autres temps celles de Che Guevara et de Saddam Hussein.

Les VRP du bilan Sarkozy en route

Le casting de l'Élysée est fin prêt, la machine électorale lancée. Toutes les pièces du dispositif 2012 sont en place : le QG, le retour du fidèle Hortefeux, le projet, un fascicule dressant le bilan flatteur de quatre ans de présidence. Jusqu'à « l'ultrasarkozyste » Carla Bruni, déjà à la manœuvre. Pour elle aussi, ce second mandat, c'est du sérieux ! Comme tous les présidents en exercice, Nicolas Sarkozy se déclarera le plus tard possible. Si l'on en croit le plan médias, il n'est pas en campagne mais en action. Disons en action au service de sa réélection. En campagne et aux affaires matin, midi et soir, sillonnant la France à la reconquête de publics perdus. Tentant de dissuader les candidatures de diversion, d'apaiser les doutes des députés UMP, de se redonner une stature à travers l'international. François Fillon, qui s'est vu reprocher sa frilosité, a été invité à assurer la pédagogie des réformes ; Jean-François Copé, à mettre les troupes UMP en ordre de bataille et les deux meilleurs ennemis de la droite à oublier leurs rancœurs. C'est la force de Nicolas Sarkozy. Il est affaibli, critiqué, il a beaucoup parlé, beaucoup promis et beaucoup déçu mais il y croit, il « la» sent. Voilà les socialistes prévenus. Jamais un président n'a suscité une telle défiance, joui d'une telle impopularité et pourtant il ne leur suffira pas de se réjouir qu'un désir de gauche monte dans le pays pour réussir l'alternance. Le président-candidat ne lâchera rien, contre vents et marées il se battra. Il a un an pour retourner la situation. Et un an pour régler un problème qui n'a rien de futile, rien d'anodin, celui du style présidentiel. Au moins autant que la perception des réformes par les Français, sa personnalité semble bien constituer sinon un facteur de rejet, du moins un grand sujet de perplexité.

Candidats


Notre Président serait déjà candidat. Prêt à rempiler cinq ans. Faut-il qu’il aime ça... Parce qu’être Président, c’est être contraint de travailler avec des individus comme Hervé Morin. Mais oui, vous le reconnaissez, le soldat fidèle de François Bayrou en 2007, qui le trahit pour devenir ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy. Il y gagna le sobriquet de «Morin, traître». Il lui fait honneur aujourd’hui, après trois années et demi de service servile et militaire, crachant dans le rata pour trahir son dernier maître et devenir candidat. On lui préférera le postier Olivier Besancenot, qui renonce aux honneurs du candidat pour mieux continuer de militer, à la base. Sans accuser personne, tout simplement parce que c’est son choix d’homme libre. Parions que notre Président, avant d’en reprendre pour cinq ans, aura une pensée pour Morin traître et le postier de Neuilly...

Style fatal

L’Histoire immédiate nargue l’analyse et s’y dérobe. Depuis le « bilan globalement positif» dressé par Georges Marchais sur les démocraties populaires de l’Europe de l’Est, l’appréciation d’une forme de pouvoir est définitivement sujette à caution.

Le manque de recul, l’esprit partisan, les rancœurs, les rivalités, les stratégies et l’infernale complexité de l’époque se liguent pour rendre tout jugement de ce genre parfaitement artificiel.

C’est ainsi : l’ingratitude exigeante des démocraties porte les peuples à regarder délibérément devant eux. S’il est parfaitement naturel pour un président de la République de chercher à convaincre l’opinion de l’importance de son œuvre, la démarche n’en est pas moins vaine.

Toutes les tonnes de papier glacé, toute l’encre d’une promotion valorisante et tous les séminaires d’autopersuasion n’y changeront rien : le pouvoir est mal placé pour évaluer le pouvoir. Presque illégitime pour s’autocongratuler, ce qu’il manque rarement de faire, pourtant.

On peut comprendre l’ardeur du Premier ministre à défendre l’action de celui qui l’a désigné et les résultats de l’équipe qu’il a nommée. Mais le fossé entre les dirigeants du pays et le peuple se serait-il à ce point creusé pour que le très faible pourcentage des Français (17 % à 27 %) trouvant satisfaisant le bilan de M. Sarkozy soit en décalage avec le satisfecit adressé par François Fillon au chef de l’État ?

A la cécité volontaire empêchant de voir le malaise français fait face un antisarkozysme aveugle qui refuse d’admettre les incontestables avancées de ce quinquennat. Il y en a, en effet. La réforme constitutionnelle, l’autonomie des universités et le Grenelle de l’environnement, par exemple, sont autant de jalons fondateurs pour la France de demain.

En revanche, les échecs de la politique sécuritaire, les banlieues largement abandonnées, une réforme de l’État comptable et castratrice qui pense surtout à faire des soustractions de fonctionnaires, le naufrage du travailler plus pour gagner plus, ne sont pas de simples accidents de parcours. Ils sont les marqueurs d’une promesse impossible : celle d’une France où tout serait possible.

La crise a sans cesse contrarié les envolées présidentielles. Mais dans une France qui s’est largement droitisée depuis 2007, le président a plongé seul dans les sondages quand le chef de gouvernement se maintenait, lui, à un niveau assez élevé.

Comment mieux mettre en évidence le rejet d’un homme plutôt que celui de sa politique ? Car c’est d’abord le style de l’omniprésident qui est en question. La conception d’une gouvernance qui est remise en question. La prétention de l’omniscience et l’égotisme forcené qui sont en cause.

Le coup par coup opportuniste de l’Élysée a ruiné l’ambition de 2007 et fragilisé un peu plus une France qui n’allait déjà pas très bien. Mais chacun sait qu’une élection ne se joue pas sur un bilan, bon ou mauvais.

L'année de tous les possibles


Quatre ans après, un an avant. Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy était brillamment élu. Il lui reste un an pour se lancer dans un éventuel second mandat. Le temps viendra de dresser son bilan. Alors qu'il est au plus mal dans les sondages, autant à cause de sa gouvernance que de ses réformes, contentons-nous de noter que la seule certitude, c'est qu'il n'y en a pas !

On nous prédit pléthore de candidats. Ils étaient douze en 2007 et seize en 2002. Compte tenu du coût d'une campagne et du risque d'offrir une place au Front national sur le podium du second tour, beaucoup devront réfléchir. La question de la responsabilité d'un 21 avril ¯ à l'envers ou pas ¯ se posera, un mois ou deux avant l'échéance, autant aux écologistes qu'à Dominique de Villepin, autant à Jean-Louis Borloo, candidat quasi déclaré, qu'à Jean-Pierre Chevènement.

Marine Le Pen au second tour ? Rien n'est sûr : aux dernières cantonales, le Front national a totalisé moins de voix qu'en 2004. Une bonne pédagogie autour des projets et une forte mobilisation des électorats modérés éloigneraient ce scénario. À condition qu'il n'y ait pas une multiplicité de candidats, telle que chacun, excepté le FN, ne réaliserait qu'un médiocre score.

On nous dit, pas seulement à gauche, que Nicolas Sarkozy a déjà perdu. Le président sortant est peut-être un problème pour la majorité, mais il n'en demeure pas moins l'une des solutions. Il ne doute pas, à l'heure qu'il est, de sa candidature, mais il l'annoncera le plus tard possible. Il faut d'autant moins le sous-estimer que nul ne connaît l'environnement international du moment. Les peurs procurent souvent un avantage au pouvoir en place.

Ceux qui rêvent de le faire trébucher se bousculent pourtant : Dominique de Villepin, s'il réussit à convaincre les banques de lui prêter l'argent pour financer sa campagne. Et surtout Jean-Louis Borloo, qui assure vouloir incarner le nouveau leadership de la majorité à travers une candidature centriste hostile à Nicolas Sarkozy. À défaut, Hervé Morin se lancera, sans que cela ne dissuade François Bayrou.

On spécule beaucoup sur la victoire annoncée de Dominique Strauss-Kahn. Attendons de voir comment va se passer l'atterrissage, sur le sol politique national, du symbole de l'économie mondialisée. Sa cote, très différente des intentions de vote, risque de baisser au fur et à mesure qu'il déclinera les promesses, forcément limitées, qu'il estimera pouvoir tenir. La question se pose même de savoir ce qu'il adviendrait si la courbe ascendante de François Hollande finissait par croiser, durant la primaire, celle descendante du patron du FMI.

On nous assure enfin que Nicolas Hulot ne va faire qu'une bouchée d'Eva Joly. Le lancement peu réussi de la candidature de l'écologiste pourtant le plus médiatique, la concurrence de Jean-Louis Borloo et les crispations au sein de sa famille d'adoption ¯ on a vu des antinucléaires s'opposer à lui à Fessenheim ! ¯ rendent l'issue de son parcours très imprévisible.

Autant de spéculations qui signifient que tout est possible. Aucune enquête n'ayant jamais prédit le nom d'un vainqueur un an à l'avance, concluons provisoirement, avec le socialiste Pierre Moscovici, que si Nicolas Sarkozy aura beaucoup de mal à gagner, la gauche peut encore perdre.