TOUT EST DIT

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mardi 8 octobre 2013

L'avertissement de Brignoles

L'avertissement de Brignoles

Depuis que François Hollande est président, la droite remporte toutes les élections partielles. Plus exactement, la gauche les perd toutes. La cantonale de Brignoles (Var), avec un FN en tête et une majorité éliminée au premier tour, sonne comme un cinglant avertissement, à six mois des municipales. Mais pas seulement pour les socialistes.
Ceux qui jouent les experts effarouchés auraient pu l'anticiper : toutes les partielles, surtout les cantonales, sont marquées par une forte abstention. Toutes sanctionnent la majorité en place, à plus forte raison lorsqu'elle domine le paysage et mène une politique désavouée dans les sondages.
Première nouveauté : l'effondrement de la majorité ne profite pas à la droite classique, en particulier à l'UMP, qui perd des voix. Le rejet d'une politique ne provoque pas de désir automatique d'alternance. Les électeurs ne feraient plus confiance aux partis traditionnels.
Pour cela, la droite a besoin d'apaisement - ce n'est pas gagné avec l'offensive Fillon et le suspense Sarkozy - et d'un projet crédible. Il ne suffira plus de dénoncer l'instrumentalisation du FN pour diviser la droite, argument dépassé : on sait que le discours social de Marine Le Pen séduit une partie de l'électorat populaire jadis acquis à la gauche.
Seconde particularité : le scrutin de Brignoles illustre autant une démobilisation générale qu'une mobilisation des extrêmes. Ainsi, le Front national, même porté par l'actualité et une image plus moderne, ne totalise « que » 13 % du corps électoral. Il progresse en pourcentage - au point de pouvoir gagner, dimanche - du seul fait que son électorat est le seul mobilisé. Avis aux abstentionnistes : à 20 ou 25 %, il ferait évidemment un malheur.
Bonnes et mauvaises réponses
Les réponses des perdants à cette défiance inédite ont quelque chose de pathétique.
Faire l'alliance des gauches dès le premier tour, réclame le PS ? Unie ou désunie, la majorité, à cet instant du quinquennat, a perdu la moitié de son électorat. Pour cause de chômage et de fiscalité.
Construire une digue anti-FN au second tour ? Entendre un candidat communiste appeler à voter UMP risque surtout de valider la thèse selon laquelle gauche et droite, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Le front républicain peut être une réponse exceptionnelle - Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen, en 2002 - mais pas une règle générale, si l'on veut éviter la confusion.
Une politique plus à gauche, mais avec quels moyens ? Ce scrutin va raviver les tensions, dans la majorité, entre défenseurs et pourfendeurs de la rigueur. Le débat budgétaire, la semaine prochaine, risque d'être tendu.
Multiplier les sorties, dans les deux sens du terme, de Manuel Valls ? C'est encore mettre le FN au centre du débat et admettre en creux que le ministre, pourtant le plus populaire, n'a pas éradiqué les raisons de la colère.
Face à ce piège, trois réponses. La première : donner de la cohérence à une politique d'autant plus difficile à défendre sur le terrain qu'elle semble improvisée. La seconde : expliquer les effets désastreux, sur le pouvoir d'achat, le niveau de vie et l'emploi, d'une sortie de l'euro et de l'Europe, telle que la prône le FN. La troisième : évidemment, réussir le redressement. Mais ça, c'est une autre histoire qui a peu de chances de s'écrire avant les municipales.

Les oubliés du système français sont-ils seulement ceux que ciblent le FN ?

Depuis le début de l'année 2013, Marine Le Pen multiplie les déplacements en province et se concentre sur une campagne de "proximité". Objectif : préparer au mieux les échéances de 2014, notamment les élections municipales. La présidente du Front national parle ainsi d'un "tour de France des oubliés ".


Marine Le Pen, qui réalise actuellement une percée dans les  sondages, multiplie les visites en province et a débuté un tour de France des "oubliés". Au-delà des slogans du FN, existe-t-il réellement une France des laissés-pour-compte ? Qui sont les "oubliés" de la France contemporaine ?

Yves-Marie Cann : Ce ressenti se retrouve en effet, avec des intensités très variables, en plusieurs points du territoire. Celui-ci peut résulter de différents facteurs : la fermeture d’une usine mettant à mal le tissu économique local, la suppression de services publics de proximité sous l’effet de la rationalisation des dépenses publiques, un environnement dégradé et dont la restauration tarde à se concrétiser, etc. Dans ce contexte, les populations directement concernées s’estiment souvent abandonnées par la puissance publique, à tort ou à raison. Le sentiment d’être oublié peut aussi receler une dimension plus identitaire ou culturelle, nous sommes alors souvent dans le registre « ils ne s’occupent pas de nous, ils s’occupent des immigrés » mais pas seulement : l’opposition entre zones urbaines dynamiques et zones périphériques ou rurales sinistrées peut aussi prendre corps.
Marc Crapez : Oui, il existe des laissés-pour-compte. Marine Le Pen les désigne comme des "oubliés", ce qui est assez habile. Cela évite les appellations passées de mode (petites gens, prolétaires, opprimés) et celles qui seraient contre-productives en tombant dans un registre un peu méprisant : "France d’en bas" (Raffarin et Laguiller), "sans-grade" (Jean-Marie Le Pen et Sarkozy), "invisibles" (Marine Le Pen et Mélenchon).

Nicolas Sarkozy avait su leur parler pendant la campagne de 2007, en évoquant la « France qui se lève tôt… qui ne manifeste pas… tous ces anonymes, tous ces gens ordinaires auxquels on ne fait pas attention, que l’on ne veut pas écouter, que l’on ne veut pas entendre ». Ça a moins bien fonctionné en 2012, avec la « France silencieuse qu’on n’entend jamais parce qu’on ne lui donne jamais la parole… qui ne proteste pas, ne casse pas ». France silencieuse est un dérivé de « majorité silencieuse », formule gaulliste reprise par Sarkozy en 2009 et qui fait écho à un vieux fantasme de droite : la certitude de se croire implicitement majoritaire dans le pays. Marine Le Pen a choisi un mot plus innovant, plus compassionnel et moins connoté à droite : « les oubliés ».
Philippe Simonnot : Dans un Etat-Providence comme celui de la France, la plupart des gens, même dans le secteur privé,  ont une situation qui dépend  non d’eux-mêmes et de la validation de leur activité par une demande solvable, mais des subsides de l'Etat. Evidemment, aucun bénéficiaire de cette manne ne viendra dire qu’il en est satisfait. Tous au contraire en demanderont toujours  davantage sous quelque prétexte que ce soit.Donc très nombreuses sont les personnes candidates au statut de « laissé-pour-compte ». A mon avis, les vrais « laissé-pour-compte » sont ceux qui n’ont aucune visibilité médiatique et qui pour cette raison sont négligés par les politiques.

Quel est leur profil socio-professionnel ?

Marc Crapez : Ce sont des classes moyennes, ouvriers, artisans, employés, cadres moyens. L’exemple type est le Français moyen, qui s’est fait construire un pavillon pour vivre en famille, qui roule au diesel (ou l’a envisagé), qui est exposé aux contredanses et qui n’est pas éligible aux aides sociales sans parvenir au seuil de l’aisance.

Ces catégories se distinguent par leur rapport à la mobilité. Les habitants des centres-villes, lorsqu’ils ne voyagent pas ou ne déménagent pas, restent dans leurs quartiers où ils trouvent tout a portée de main. Au contraire, le Français moyen éloigné des centres-villes n’a guère les moyens de voyager, ni de déménager par mobilité professionnelle, car le petit pavillon qu’il a fait construire, et qu’il termine de bricoler le dimanche, lui tient lieu de fil à la patte. Mais il est contraint à des déplacements continuels, dans un périmètre départemental, pour son travail et ses loisirs. 

Lors d’une émission télévisée de la campagne présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy est passé complètement à côté de la question d’une électrice de droite qui attirait son attention sur la hausse du prix de l’essence et celle des aliments. A l’inverse, mieux conseillé, François Hollande a évoqué un problème de type « essence et denrées alimentaires ». Comme il n’a pas apporté de réponse depuis, il pâtit d’une impopularité record auprès des ouvriers et employés, dont Marine Le Pen fait son cœur de cible.
Yves-Marie Cann :  Il est difficile d’établir avec précision le profil de ceux qui se s’estiment, à tort ou à raison, oubliés ou laissés pour compte par les publics. Nous pouvons toutefois tenter de l’approcher dans certains domaines. D’un point de vue économique par exemple, ce sont fréquemment des personnes pénalisées par le peu d’atouts dont elles disposent pour faire face à la situation à laquelle elles sont confrontées. Dans cette hypothèse et en grossissant quelque peu le trait, il s’agit d’individus issus des couches populaires, fragilisés à la fois par leur niveau de diplôme pour mener à bien une reconversion professionnelle et par leur faible capital économique pour  envisager une mobilité géographique vers des territoires plus dynamiques.

Plus globalement et pour élargir mon propos, aujourd’hui tout se passe comme si nous avions d’un côté une partie de la population intégrée et relativement protégée, dotée d’un capital économique et/ou culturel élevé lui permettant de bénéficier de la mondialisation des échanges commerciaux et culturels, et d’autre part des catégories de population insuffisamment dotées d’atouts, de par leur formation initiale, de par leur fragilité économique. Pour s’en sortir, pour faire face, ces dernières sont naturellement en attente de protections et d’aides de la part des pouvoirs publics.

Lors de l'élection présidentielle, on a constaté une opposition marquée entre la France des centres-villes et la France des campagnes. Le vote Le Pen progresse dans les franges périurbaines tandis qu'il reste limité dans les cœurs des grandes villes, au centre des Communautés urbaines, et même en proche banlieue. Peut-on parler clivage géographique ?

Marc Crapez : Le périurbain désigne ce qui est hors des écrans radar du ministère délégué à la Ville, qui s’occupe essentiellement des banlieues. Des Français moyens se retrouvent chassés des centres-villes dont l’immobilier est préempté par les bobos. A cet exil physique, s’ajoute un exil mental. Ils ont le sentiment de ne pas être entendus et voudraient que leurs demandes soient prises en compte sans qu’il n’y ait deux poids et deux mesures.

Ces citoyens surexposés aux difficultés ont toutefois des profils qui divergent : le chômeur d’une région désindustrialisée, délaissé par le clientélisme du parti socialiste local, n’est ni l’ancien électeur CPNT, qui déplore la perte des services publics en milieu rural, ni l’artisan détroussé par l’Urssaf. L’UMP met l’accent sur la défense du secteur exposé face aux professions à statut, sur le plafonnement du cumul des revenus sociaux et la modernisation des prestations de la machine administrative.
Yves-Marie Cann : Ce clivage géographique existe, mais il n’est pas nouveau. Il existait avant l’élection présidentielle de 2012, et de nombreux spécialistes de la géographique électorale l’ont déjà souligné par le passé. De plus, il convient de garder à l’esprit que si le vote Le Pen progresse dans les zones périurbaines ou périphériques, c’est aussi le cas au cœur des grandes villes et en zones rurales.

Ce clivage géographique recouvre avant tout un clivage sociologique. Les populations occupant aujourd’hui les centres urbains, le cœur des grandes villes, se différencient nettement des zones périphériques ou rurales. Ce clivage recouvre souvent, mais pas toujours, celui que l’on observe quant à la capacité à tirer avantage de la mondialisation.
Philippe Simonnot :  Non. Si clivage il y a, il  s’estompera. Le vote Le Pen va progresser partout, parce que la droite est en lambeaux et que la présidence Hollande atteint les limites du supportable par sa médiocrité

Marine Le Pen va ce dimanche à la rencontre des seniors. Existe-t-il également un clivage générationnel ?

Yves-Marie Cann : Dans la dernière livraison de notre Observatoire politique avec Les Echos, Marine Le Pen est créditée de 33% de bonnes opinions. Davantage qu’en fonction de la classe d’âge, ce score varie surtout en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des individus et/ou de leur niveau de diplômes. Alors que 22% des cadres et des professions libérales déclarent avoir une bonne image de la présidente du Front national, son score s’élève à 50% chez les ouvriers. Dans le même temps, 40% des personnes peu ou pas diplômées ont une image positive de Marine Le Pen, contre seulement 14% de celles titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

En fait, Marine Le Pen enregistre plutôt un retard chez les seniors : avec 26% de bonnes opinions auprès des plus de 65 ans, elle est 7 points en dessous de sa moyenne nationale. Pour les élections municipales, il s’agit d’une classe d’âge stratégique car votant davantage que les plus jeunes. Ce sont d’ailleurs les plus mobilisés à 6 mois des élections : dans notre dernière enquête pour BFMTV, Le Figaro et Orange réalisée début septembre 70% des seniors interrogés se disaient déjà certains d’allers voter… contre seulement 33% des 18-24 ans. Pour le Front national, un bon score aux élections municipales, dans les villes où il sera présent, dépendra aussi de sa capacité à attirer sur ses candidats le vote des seniors. Selon nos données chez CSA, seuls 9% des plus de 65 ans avaient voté pour Marine Le Pen en 2012, nettement distancée par Nicolas Sarkozy (41%) et François Hollande (30%).
Marc Crapez : Au-delà de l’éternel conflit des générations, les tensions reflètent la fragmentation de nos sociétés et l’atomisation des citoyens. Ce n’est pas forcément un clivage générationnel. Marine Le Pen va à la rencontre des séniors pour combler un déficit, puisqu’elle est plus populaire auprès des jeunes et qu’elle a accentué la vocation attrape-tout de son parti. Son discours antilibéral fait recette auprès des fonctionnaires, contrairement au créneau plus poujadiste qu’occupait son père.
Philippe Simonnot : Oui. Parce que le marché du travail ne fonctionne tout simplement pas, ce qui nuit à ceux qui veulent y entrer, c'est-à-dire aux  jeunes. Mais aucun leader politique en France ne veut réformer ce marché. Par exemple la question du SMIC, particulièrement néfaste pour l’emploi des jeunes, reste tabou sur tout l’échiquier politique. Les seniors qui, à juste titre,  ont peur de perdre du pouvoir d’achat à cause de la hausse des prix et de la fiscalité, cherchent des protections politiques. Ils ne supporteraient pas un discours dénonçant leurs privilèges. Et encore moins qu’on leur dise que le calamiteux  système de retraite par répartition, qui nous explose à la figure maintenant, a été intronisée en France par Pétain en 1941, ce que ni la droite, ni la gauche, ni les syndicats n’osent rappeler.

Le succès de la "Manif pour tous" a révélé l'existence d'une France attachée à certaines valeurs parfois ringardisées notamment par les élites médiatiques. Le choc n'est-il pas tout simplement culturel ?

Marc Crapez : Les manifs pour tous ont obligé les élites médiatiques à accorder une certaine considération aux catholiques. Du côté des élites politiques, dans une interview récente, Rachida Dati donne l’exemple en déplorant l’accusation de populisme à tort et à travers, alors que ceux qui l’encourent ont une « réaction normale de gens méprisés ». Mais les notables de droite campent sur leurs positions : Raffarin juge « populiste » la remise en cause du cumul des mandats, tandis que Guaino trouve les députés « très mal payés » !.
Yves-Marie Cann : Il peut en effet exister une dimension culturelle. Je relativiserai toutefois votre propos par le fait que la manif pour tous n’était pas l’émanation d’un mouvement politique et doit beaucoup à la capacité des réseaux confessionnels, notamment catholiques, à mobiliser en masse. Nous voyons aujourd’hui que les dirigeants ou têtes de pont de la manif pour tous ont le plus grand mal à incarner une expression politique plus large, dépassant le cadre de l’opposition au « mariage pour tous ».

Durant l'élection présidentielle 2012, un rapport controversé de Terra Nova, intitulé "Gauche, quelle majorité électorale pour 2012" préconisait au PS de se tourner  vers les "les diplômés", "les jeunes", "les minorités" et "les femmes" plutôt que vers les ouvriers et les classes populaires. Les difficultés des minorités visibles habitants dans les cités sont-elles davantage médiatisées et prises en comptes que celles des "blancs" des classes populaires ?

Marc Crapez : La gauche a réservé ses 150 000 emplois d’avenir aux zones urbaines sensibles, c’est-à-dire à 7% de la population française et 15% seulement des ménages pauvresEn effet, contrairement aux idées reçues, le fameux 93 est (sans même comptabiliser son économie souterraine) le 15ème département le plus riche de France, alors que le Cantal est 92ème. Certains livres parlent de « préférence immigrée », de « racisme anti-blanc », de prolophobie ou encore de francophobie.

Une partie des Français subit un sentiment d’injustice. Parlez-moi de la France, de sa liberté, de son égalité et de sa fraternité, demandent-ils. Les partis populistes offrent un refuge politique et une fraternité de substitution aux catégories de citoyens maltraités par les élites parce qu’ils se posent trop de questions face aux tensions engendrées par la mondialisation et le multiculturalisme à marche forcée. Une France délaissée par les pouvoirs publics et médiatiques éprouve un sentiment de relégation et de dépossession démocratique. Elle ressent un déni d’appartenance et d’inclusion qui peut la pousser vers le vote extrémiste dans une logique de réparation et d’égalité.
Yves-Marie Cann : Il ne m’appartient pas de me prononcer sur le sujet, d’autant plus que je ne dispose pas de données objectives sur le sujet. Je doute toutefois de l’efficacité d’une communication mosaïque telle que celle suggérée par l’approche de Terra Nova en 2012 : plus que jamais, les cibles de la communication politique sont devenues structurellement poreuses. L’enjeu n’est plus à qui on parle mais plutôt de gérer la schizophrénie des publics aux attentes et intérêts contradictoires.
Philippe Simonnot : Elles sont en effet davantage médiatisées, parce que de temps en temps on y casse ou on y brûle quelque chose. Les  "blancs" des classes populaires n’ont qu’à en faire autant. Et, du reste, ils s’y préparent. Et déjà, ils passent à l'action. Cela dit,  les vraies solutions attendent toujours  - je veux parler d’une authentique réforme du travail et de la fiscalité.

Finalement, les oubliés sont-ils tout ceux à l'égard desquels la société n'a pas "mauvaise conscience ?

Marc Crapez : La société aurait « mauvaise conscience » envers les immigrés ? Il n’y a pourtant pas à rougir du niveau de vie que la France a offerte aux nouveaux arrivants.Mais les élites se sont conduites comme Ponce Pilate. Normalement, le marché se charge d’opérer des ajustements dans les flux migratoires. En fonction des besoins économiques, des capacités d’accueil et des affinités électives. Modulant l’ouverture et la fermeture des frontières. Mais aujourd’hui, ces correctifs et stabilisateurs automatiques se trouvent perturbés par 30 ans d’immigration subie et de politiquement correct menaçant. Comme les citoyens ne sont plus traités équitablement, chacun se méfie en postulant qu’il y a anguille sous roche, et proteste silencieusement en opérant, à son échelon, par un jeu de miroirs, des discriminations pour rétablir la justice. Il faudrait remettre tout le monde sur un pied d’égalité.
Philippe Simonnot : La société ne peut pas avoir « mauvaise conscience », puisqu’elle n’est pas une personne. Ce serait beaucoup attendre  des privilégiés de l'Etat-Providence qu'ils se posent des questions.  Une nouvelle Nuit du 4 août est peu probable. de fait,  la politique n’est pas affaire de morale, mais de rapports de force. Avec son clientélisme éhonté, Hollande nous en administre la preuve tous les jours.

Quelles sont les préoccupations et les demandes de cette France là ? Comment les partis traditionnels peuvent-ils s'adresser à elle ? 

Marc Crapez : Pas de démagogie car le décalage entre les paroles et les actes nourrit la désillusion. Pas d’accès de familiarité ou de misérabilisme compassionnel. Pas d’anti-populisme intempestif : des initiatives pour diminuer le train de vie de l’Etat et le traitement des élites politiques ont été prise dans de nombreux pays, afin de donner l’exemple en période de crise. Cessons de sous-estimer les gens en abordant les problèmes et en tranchant les questions. 73% des sondés ont-ils tort ou raison de penser qu’on « peut trouver de la main-d’œuvre en France, sans avoir recours à l’immigration » ?

Au lieu de moquer les couacs du gouvernement, pour mettre en difficulté ceux dont on brigue la place, l’UMP devrait davantage respecter l’action des ministres, y compris celle de Montebourg qui soulève des vraies questions (et concentrer ses critiques contre les Verts et autres idéologues d’extrême-gauche). Entre ceux qui font du libre-échangisme un dogme intangible et Marine Le Pen qui voudrait sortir de l’euro, il y a toute une gamme de possibilités et place pour la réflexion, en vue d’amender, infléchir et améliorer l’Union européenne.
Philippe Simonnot : Cette France-là demande davantage de liberté. Et aucun parti aujourd'hui n’offre aux Français plus de liberté. L'étatisme n'a fait que progresser à la faveur de la crise.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio

La tentation de Brignoles

La tentation de Brignoles

Rien n’est plus hypocrite que la vraie-fausse diabolisation du FN par l’intelligentsia et le parti socialiste. Tout en extrémisant ce courant politique au niveau du discours, le PS ne cesse de lui tendre la main dans l’espoir d’anéantir l’opposition modérée et de s’assurer mille ans à la tête de la France. D’où la jubilation de M. Désir au vu des sondages selon lequel « le FN est en train de dévorer la droite ». Le FN se présente en réalité comme un objet politique non identifié, un courant attrape-tout destiné à rafler des voix (cfMon programme pour la France et les Français). Il est protectionniste avec sa taxe de 3% sur les importations, sans  tenir compte de l’impact gigantesque pour les entreprises du surcoût des produits importés et des représailles évidentes sur les biens exportés par l’économie française. Il est socialiste quand il annonce son intention de créer « une tranche de 46% sur l’impôt sur le revenu » pour que « les foyers très aisés payent davantage », une « TVA majorée sur les produits de luxe », trois catégories d’impôts sur les sociétés pour financer « au deux tiers l’Etat et un tiers les collectivités territoriales », « sortir de la logique purement comptable » en matière de santé, « rétablir la retraite à 60 ans pour 40 ans de cotisations». Il est étatiste quand il annonce son intention de  créer un « revenu parental équivalent à 80% du SMIC ». Evidemment, on n’a pas la moindre idée de la manière dont seront financées ces "belles" mesures, auxquelles s’ajoutent « la réouverture de toutes les lignes régionales de la SNCF et de la totalité des bureaux de poste ».  Il est enfin écologiste puisque « à long terme, il est souhaitable de pouvoir sortir du nucléaire , mais sans la moindre option de remplacement. Le FN tire sa force électorale de l’exaspération des Français envers les forces politiques classiques, la faillite des socialistes au pouvoir et l’incapacité actuelle de l’opposition modérée, rongée par ses querelles nombrilistes,  à incarner une alternative et à apporter des réponses crédibles sur l’Europe, le chômage, l’insécurité, l’immigration. L’esprit du FN, son programme, semblent par certains côtés s’inspirer du parti communiste d’avant 1980, profondément anti européen et  ambigu sur immigration. Le ton agressif, sans nuance et vengeur est  le même.  Jamais le FN n’est allé aussi loin que le PCF dans ses réticences vis-à-vis des populations migrantes, ce dernier joignant les actes à la parole lors de la destruction au bulldozer d’un foyer de travailleurs maliens à Vitry le 24 décembre 1980. Le PCF qui atteignait alors des scores comparables à celui du FN aujourd’hui (15 à 20%), s’est effondré avec l’Union soviétique et le FN, d’une certaine manière, à repris sa place de parti protestataire. Nous n’avons bien entendu pas à juger nos compatriotes qui, comme à Brignoles, exaspérés et accablés par la situation de leur pays, placent leur espoir dans ce parti. Mais simplement, en toute simplicité, nous pouvons les renvoyer à une pensée de bon sens de Michel Montaigne : « Le bien ne succède pas nécessairement au mal ; un autre mal peut lui succéder, en pire. » (Essais , tome III, chapitre 9).

Sarko avec Liliane, c’était pas du sérieux !

Sarko avec Liliane, c’était pas du sérieux ! 

Sur l’affaire Bettencourt, les juges Jean-Michel Gentil et Valérie Noël désorientent l’opinion. Alors que la chambre de l’instruction valide enfin leur enquête, ils effectuent une surprenante volte-face. Les deux magistrats bordelais, hier, ont décidé de ne pas renvoyer Nicolas Sarkozy devant un tribunal. Motif ? Les charges retenues contre le candidat à L’Élysée en 2007 ne sont pas “suffisantes”. D’accord. Mais l’étaient-elles davantage au printemps, lorsqu’ils le placèrent en examen pour “abus de faiblesse” ?
A l’époque, sans disposer de plus d’indices, l’infamante incrimination leur semblait pourtant raisonnable. L’ancien président aurait donc profité de l’état psychique défaillant d’une vieille dame pour lui extorquer de l’argent… Pourquoi imaginer pareil scénario, plutôt qu’un don volontaire (bien qu’illégal) de la richissime Liliane à l’UMP ? Peut-être parce qu’un éventuel “financement occulte de campagne électorale” se trouvait couvert par la prescription. Pas “l’abus de faiblesse”, qui permettait de laisser courir encore un peu la très médiatique procédure…
Et tout ça pour se raviser in extremis, en accordant un “non-lieu” à l’illustre suspect ! Va comprendre.
M.Sarkozy, “victime” soulagée, récupère ici un argument pour crier à l’acharnement politico-judiciaire. Pas trop fort quand même. D’autres embrouilles – Tapie, Karachi, Libye et tutti quanti – se bousculent déjà au calendrier…

Les Tondus : "le mouvement fonctionne, ne payez plus vos cotisations patronales !"

Cette semaine se tenait la conférence de presse du collectif Les Tondus, dirigé par Guillaume de Thomas, qui était notre invité lors de la conférence du 21 septembre sur les révoltes. Protestant contre la hausse continue des charges sociales, le mouvement connaît un succès fulgurant. Le gouvernement commence à s'inquiéter. Faites comme eux, ne payez plus, c'est légal !

La conférence de presse commence par un rappel de l’objet du mouvement des Tondus. Ce mouvement rassemble, au moment de la conférence, 350 000 micro et petites entreprises. Cela correspond à 10% du nombre d’entreprises comptabilisées par l’Insee. Il y aurait 2,4 millions de micro-entreprises (0 salarié) et près d’un million de petites entreprises (moins de 20 salariés). Ces deux catégories d’entreprises représentent 97% des entreprises. Elles embauchent presqu’autant de salariés (8-9 millions, selon Pôle Emploi) que les 3% restant. Or, si les moyennes et les grandes entreprises sont bien défendues par le MEDEF et la CGPME, les petites et micro-entreprises n’ont pas vraiment de représentants pouvant les défendre. Cela explique donc l’émergence quasi-simultanée de mouvements spontanés contestataires : Les TondusLes Poussins et Les Plumés partagent le même combat. Combattre cette fiscalité trop lourde (charges patronales, CFE, taxe foncière) qui nuit à leur développement et donc à l’embauche de nouveaux salariés.

Le mouvement rend Pierre Moscovici nerveux .

Au sujet du Medef et de la CGPME, Guillaume de Thomas pointe du doigt la part importante de subventions de l’État dans leurs ressources financières. S'appuyant sur certaines sources, Les Tondus affirment que la CGPME touche 6,8 millions € et le MEDEF 12 millions € de l’État. Pour Guillaume de Thomas, cela ne fait aucun doute que si les entreprises ne parviennent pas bien à se défendre, c’est qu’elles ont ce couteau sous la gorge que sont les subventions de l’État. Le représentant du mouvement des Tondus suggère donc au gouvernement de faire des économies en coupant le robinet pour ces deux organisations patronales.
Guillaume de Thomas souhaite se montrer ferme et déterminé. Il refuse de céder aux appels de Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, à reprendre le paiement. Le message est clair : il n’appellera à reprendre le paiement que si le gouvernement prend des mesures concrètes pour ces entrepreneurs, qui pèsent autant que les moyennes et grandes entreprises sur le marché de l’emploi. Cependant, si ces dernières sont plutôt solides, notamment le CAC40, les premières font très souvent faillite. Pierre Moscovici serait nerveux et peu serein face à l’ampleur du mouvement. Le ministre ne semble pas avoir de volonté de sortir du conflit. La proposition du gouvernement de négocier autour d’une table où seraient présents des syndicats de patrons, de salariés, des partis politiques n’intéresse pas Les Tondus. Ce type de négociation n’a jamais abouti. Guillaume de Thomas en veut pour preuve la mobilisation annuelle des syndicats de salariés qui appellent à la grève chaque année et qui reportent le combat. Les Tondus sont d’autant plus fermes sur leur proposition de négocier en tête-à-tête entrepreneurs (1 profession libérale, 1 commerçant, etc.) et ministres qu’ils sont en rapport de force. En effet, 350 000 entreprises ont décidé de ne plus payer les cotisations patronales, et l’échéance trimestrielle du 15 octobre approche à grand-pas. Les Tondus vont alors voir l’ampleur de ce mouvement contestataire. Pour sa part, Guillaume de Thomas estime que le manque à gagner serait de plusieurs millions, voire milliards.

Ils nous ont proposé une réduction ridicule de 0,4% des charges .

Le gouvernement dénonce des actions illégales. Or, Me Martine Baheux, avocate, a affirmé que ce mouvement est parfaitement légal. D'ailleurs, Guillaume de Thomas indique que les statuts de l’association ont été déposés. Cela va permettre d’agir sur les ministères dans une stratégie de court-terme. Il a déjà contacté 5 ministres : Commerce Extérieur, Redressement Productif, Santé et Affaires sociales, Budget et Économie-Finances. Il déplore la qualité de l’accueil et l’absence d’écoute de la part de ces ministres. M. Montebourg s’est comporté en véritable élu local, et Mme Touraine lui a dit qu’il était tout simplement mauvais gestionnaire. Il dénonce également la proposition ridicule, faite au téléphone, d’une réduction de 0,4% sur les cotisations sociales. Cette réduction aurait été répercutée sur les ménages et les salariés. Guillaume de Thomas appréhende ces négociations avec l’URSSAF et les ministres socialistes. Aucun d’eux n’a créé d’entreprise et peut donc difficilement comprendre les problèmes que rencontrent les micro et petites entreprises. Lors d’un débat sur RMC, une députée socialiste a voulu défendre les actions du gouvernement en faveur des entreprises, en avançant que celui-ci avait augmenté le crédit impôt recherche. Mais ce dispositif fiscal n’est accessible qu’aux entreprises faisant de la recherche, soit 1% des entreprises.
Les Tondus entendent également dénoncer ce sentiment anti-patron généralisé et banalisé par les socialistes. Il y a un amalgame fait entre le patron d’une petite entreprise et le patron d’une multinationale. Les petits entrepreneurs sont agacés d’être considérés comme malhonnêtes ou très riches. C’est le message que semble avoir voulu faire passer Marisol Touraine à Guillaume de Thomas lors de leur entrevue. C’est le même climat qui est entretenu dans les Cours de Prud’hommes où l’employeur est supposé coupable d’emblée selon le président des Tondus. Guillaume de Thomas a indiqué, au cours de la conférence de presse, que les chefs de micro et petites entreprises entendent trop souvent que les petits patrons s’en mettent plein les poches. Ceux-ci au contraire, vivent très souvent cette activité comme une passion au détriment de leur portefeuille. Ainsi, un chef d’entreprise peut travailler 70h par semaine et gagner le même revenu qu’un salarié travaillant 35 heures.
Guillaume de Thomas et Les Tondus appellent donc à :
  • Continuer à ne pas payer les cotisations à l’URSSAF,
  • Ne pas payer la contribution financière (plus lourde que la taxe professionnelle) et la taxe financière, qui peut rapporter 200 milliards aux collectivités locales,
  • Engager une démarche juridique pour se faire rembourser les cotisations sociales versées au titre de l’employeur. Un site a été mis en place : il y aurait entre 3 et 4 milliards de cotisations injustement payées.
C’est pourquoi Les Tondus considèrent que le gouvernement doit permettre aux employeurs de cotiser pour leur retraite, pour leur sécurité sociale et pour leurs droits au chômage, car en cas de faillite, le petit patron n’a droit à rien. L’esprit de l’État est de s’imaginer que le patron a forcément de l’argent. Même s’il a fait faillite, il a mis de l’argent de côté... à moins qu’il ne soit mauvais gestionnaire, comme le suggère Marisol Touraine.

Notre mouvement fonctionne, nous sommes invités à l’Assemblée Nationale.

Les Tondus exigent du gouvernement qu’il :
  • Supprime le crédit Impôt-compétitivité emploi, et les subventions aux entreprises,  qui bénéficient souvent aux grandes entreprises présentant un faible risque de faillite. Elles peuvent donc se permettre d’assumer l’argent investi dans la recherche. Cela permettra une économie de 110 milliards (bien milliards) d’euros.
  • Revoit les modalités de recouvrement de l’URSSAF, dont l’esprit semble dater du XIXème siècle. Pour Guillaume de Thomas, il est temps de passer au XXIème siècle. Il faut arrêter de penser que si l’employeur ne paie pas, ce n'est pas qu’il ne veut pas, mais c’est qu’il ne peut pas. L’URSSAF doit arrêter d’engager une démarche juridique contre l’employeur : cela fragilise l’entreprise, et vu le nombre d’entreprises concernées, l’économie, donc l’emploi.
  • Revoit le coût du travail. En France, lorsque le salarié perçoit 10€ l’heure de travail, l’employeur a payé selon lui 33€. En Allemagne, le coût d’une heure de travail serait de 11€. Les charges sociales sont trop lourdes, et personne, si ce n’est le comptable, ne sait de quoi parle la fiche de paie. Les coûts administratifs pour le salarié sont trop élevés : visite médicale (avant même d’embaucher), la réalisation et l’impression de la feuille de paie. Le tarif de la visite médicale est très variable selon les régions. Guillaume de Thomas dénonce également le fonctionnement des OPCA, qui sont financés par les salariés. Or, seuls 200 000 sur les 27 millions y ont accès.
Pour conclure la conférence de presse de Poitiers, Guillaume de Thomas indique que, pour la première fois, un mouvement protestataire, comme les Tondus, est invité à l’Assemblée Nationale, par 120 députés pour une audition sur le coût du travail, le 17 octobre. Les Tondus ont également reçu une demande du Sénat. Une réponse leur sera bientôt apportée.
Enfin, Guillaume de Thomas indique que ce combat n’est pas sa passion. Il ne souhaite qu’une stratégie de court-terme. Il entend retourner rapidement dans ses entreprises pour s’occuper de la gestion, qui est sa véritable passion. L’association continue toutefois à se développer avec 68 représentants départementaux et un déplacement prévu outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Saint Pierre-Et-Miquelon. Guillaume de Thomas reste à la disposition de tout ministre et de tout parlementaire national.
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Ces enfants mendiants qui ne choquent plus personne

Ces enfants mendiants qui ne choquent plus personne

Et ça n’avait choqué personne jusque-là ? De voir chaque jour dans la saleté du métro ou dans le froid glacial de la rue, des enfants de 3-4 ans, des nouveaux-nés parfois, passer des journées entières à même le sol, les mains bleues de froid, à côté de « parents » roms qui vous réclament la piécette en mettant ces petits en avant ? C’est quelque chose d’insupportable et de très concret à chaque coin de rue ou à chaque rame de train. On n’en parle pas. Personne ne dit rien de particulier à ce sujet. C’est culturel ça aussi ? Il a fallu attendre 2013 et Claude Bartolone pour suggérer qu’il s’agissait bien de mauvais traitements à enfants et réclamer l’interdiction de ces pratiques barbares.
Pour être honnête, en 2003, devant l’ampleur du phénomène, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait souhaité punir la mendicité avec enfant dans sa loi de sécurité intérieure. Depuis l’entrée en vigueur de ce texte, le code pénal considère que « le fait de maintenir un enfant de moins de six ans sur la voie publique ou dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants » constitue un délit de privation de soins, passible de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros.
Mais selon une jurisprudence de la cour de cassation de 2005, ce délit ne peut être constaté que si l’on prouve que la santé de l’enfant accompagnant le mendiant est altérée. Les magistrats avaient arbitré en ce sens après la double relaxe d’une mère de famille rom qui mendiait sur les Champs-Elysées avec son fils de deux ans. En première instance, puis en appel, les juges – particulièrement de bonne foi – avaient estimé qu’il n’était pas démontré que la santé de l’enfant avait été compromise par son maintien quotidien sur la voie publique… Ils ont purement et simplement rendu la loi inapplicable.

La conscience du bobo

Il y a déjà des années, en prenant le train sur la ligne Saint-Lazare-Saint-Nom la Bretèche, je croisais presque tous les jours à la même heure un rom particulièrement crasseux d’une bonne soixantaine d’années et une petite fille d’environ 6 ans. Chaque fois qu’il est venu me demander de l’argent (assez vite il m’a repérée et évitée soigneusement en me lançant des regards furibards depuis l’autre côté du wagon) je lui ai dit à voix forte que c’était scandaleux (et illégal) d’exploiter des enfants, que cette petite fille devrait être à l’école et qu’il y avait des services sociaux en France pour s’occuper d’elle.
La plupart du temps, les voyageurs plongeaient craintivement leur nez dans leurs portables ou regardaient ailleurs sous les grommellements de plus en plus insultants et agressifs du vieux. Un jour un bobo parisien s’est dressé pour prendre sa défense en me disant :
« Il n’a pas le choix madame, il n’a pas le choix de mendier et d’être pauvre, ce n’est sûrement pas la bonne méthode de se révolter comme vous le faites. Vous êtes choquante madame ».
C’était moi la plus choquante dans le tableau. Et lui de descendre dignement à la Celle-Saint-Cloud avec son bagage Vuitton et son sac écolo de chez Monde Ethique. Sans avoir donné d’ailleurs au passage la moindre pièce ni le moindre ticket restaurant aux pauvres en question.
Quelques semaines après sur cette même ligne, un réseau rom était démantelé. Ces criminels réduisaient des enfants à l’état d’esclaves pour mendier. Une quinzaine de mineurs déscolarisés étaient forcés à voler en remplissant des quotas journaliers précis. Onze suspects ont été interpellés. Mais les faire arrêter par la police était encore sûrement ce qu’il y avait de plus choquant.

Une famille qui vivrait comme l’État, ça donnerait quoi ?


Lorsqu'on a un gros, un énorme déficit budgétaire chronique et une dette abyssale, babylonesque, voire une hippopodette, il est difficile d'appréhender l'ampleur du désastre. Cependant, celui-ci devient évident lorsqu'on ramène l'exercice budgétaire du pays à l'échelle d'un ménage.
Le droit français a longtemps fait du comportement d'un bon père de famille la norme comportementale de bon usage et de saine gestion ; le bon père de famille est soucieux des biens et intérêts qui lui sont confiés comme s'ils étaient les siens propres. Pour connaître le statut de nos chers dirigeants, ramenons la politique budgétaire de la France à l'échelle d'un ménage.
L’État français disposait, dans le budget 2013, de 240 milliards d'euros de ressources pour 302 milliards d'euros de charges. La dette publique, elle, se montait à 1 912 milliards d'euros. Ces chiffres, pleins de zéros difficiles à lire et dans des unités de mesure, la dizaine ou la centaine de milliards, assez difficiles à appréhender, sont des chiffres prévisionnels ; ils ont été votés par les parlementaires, en toute décontraction. Comme chaque année, il est parfaitement raisonnable d'attendre que la réalité sera encore pire. Oui.
Comparons cela à un ménage moyen. Avec ses 2 410 euros de revenu net mensuel, notre ménage moyen, s'il se comportait comme l’État français, dépenserait 3 032 euros chaque mois - avec un découvert mensuel de 622 euros. Ramené à l'année, les 28 920 euros de revenus sont loin de suffire pour dépenser 36 391 euros, et le ménage doit donc emprunter 7 471 euros - alimentant un total d'endettement de 230 396 euros. Oui, 8 fois son revenu annuel. C'est un ménage qui sait vivre, que voulez-vous : on ne vit qu'une fois, autant le faire bien surtout si c'est avec l'argent du banquier.
On comprend mieux, au regard de ces chiffres, la gestion que font les hommes politiques de leur propre patrimoine et leur incapacité à épargner - si tant est que leurs déclarations puissent être crues. Compte tenu du respect qu'ils ont pour la parole publique et les engagements qu'ils prennent, rien n'est moins sûr ; entre Jérôme Cahuzac qui, lui, a su épargner, et la pause fiscale dont tout le monde, meurtri, attend l'arrêt aussitôt que possible, l'honnêteté de nos dirigeants pose question.
Et à bien y réfléchir, la lucidité des créanciers également.
Aucun ménage ne parviendrait à faire accepter un découvert de 25% de ses revenus chaque mois, surtout compte-tenu de son profil d'endettement. Les ménages français sont, en moyenne, endettés à hauteur de 80% de leurs revenus, pas 800%, comme l’État actuellement (230 396 euros de dettes pour 28 920 de revenus). Mais il est vrai qu'aucun ménage n'a la bombe atomique, une armée d'inspecteurs du fisc secondée par une armée de policiers, de gendarmes et de soldats outillés et entraînés pour éviter toute confusion maladroite entre "contribuable" (qui paye et se tait) et "citoyen" (qui est armé et entend se défendre tout seul comme un grand).
Au passage, cette dette génère un coût important pour la famille France ; elle paye chaque mois 563 euros pour éponger les intérêts de sa dette, sans même songer à rembourser (rappelons que la famille France s'endette chaque mois, et qu'il lui est impossible, par on ne sait quelle misère, de mettre le moindre sou de côté - le prix du caviar s'envole, dirait-on).
Sur 3 033 euros de dépenses au total, cette hypothétique (mais dépensière) famille France consacre 382 euros à l'achat d'armes diverses, dont des drones dépassés qui font un peu pitié, en plus de 177 euros pour sa sécurité pure, ce qui fait déjà 559 euros. S'y ajoutent 641 euros pour l'enseignement scolaire et 260 pour l'enseignement supérieur et la recherche, avec un résultat qu'on qualifiera pudiquement de mitigé, pour un total atteignant déjà 1 460 euros sur ces seuls trois postes. Avec les 563 euros de la dette, c'est déjà plus des 2/3 que la famille France aurait déjà dépensée.
Les autres petits postes de dépense sont aussi édifiants : 26 euros pour la culture (sachons vivre), plus 12 pour les médias, le livre et l'industrie culturelle (sachons vivre) ; 5 euros pour le sport, la jeunesse et la vie associative (sachons vivre, que diable !) ; à côté, 13 euros pour la santé (sachons tomber malade ?) paraissent bien insignifiants à la famille France, qui dépense 103 euros pour favoriser l'emploi. Sans grand succès.

Si la famille France était notée par des agences de notation, le ménage "État français" serait vraisemblablement assez loin du triple A. Heureusement, rassurez-vous : l’État français n'est pas vraiment un ménage, et personne n'entend considérer que le gouvernement français pourrait se rapprocher d'une gestion de "bon père de famille". Faut pas déconner. Car le ménage "État français" dispose d'une arme secrète pour se renflouer : le patrimoine de tous les ménages français. Si le ménage France n'existe pas et fait à peu près n'importe quoi de l'argent qui lui est confié, ce n'est heureusement pas le cas de l'écrasante majorité des ménages français, ménages politiciens inclus. Et ça, l’État l'a bien compris : non content de leur prélever pas loin de la moitié de leurs revenus, il peut à tout moment leur confisquer tout ou partie de leur patrimoine. Ça s'est déjà vu, dans le passé en France, et récemment en Europe ; les Chypriotes s'en souviennent.
Non, décidément, la gestion que font les hommes politiques du budget ne correspond pas à celle qu'en ferait un bon père de famille. Ou alors, "bon père de famille" comprend l'homme bourru et alcoolique, vivant d'expédients et de petits larcins minables d'une journée à l'autre, frappant femme et enfants lorsque l'argent ne rentre pas assez - ce qui étend la notion très au-delà de ce qu'elle pourrait signifier intuitivement...
Les politiciens comptent sur vous pour, un jour ou l'autre, éponger les dettes, leurs dettes, celles qu'ils ont contractées en votre nom pour non pas vous aider, vous servir, mais pour rester au pouvoir. Et ce jour approche plus que vous ne le croyez.
À vous de voir si vous êtes d'accord, mais sachez qu'il faut agir vite : ils ne vous demanderont pas votre avis.